Condamné pour viols mais remis en liberté : les accusatrices d'un ex-patron de pizzerias racontent leur calvaire

par Hamza HIZZIR | Reportage "Sept à Huit" Laura Dona, Manon Descoubès
Publié le 29 avril 2024 à 17h10

Source : Sept à huit

Malgré trois audiences en deux ans, le procès de Jean-Claude Gorzela n’est toujours pas terminé.
L’ancien gérant de pizzerias a été condamné à 14 ans de prison en première instance puis remis en liberté dans l’attente de son procès en appel, renvoyé pour la seconde fois il y a un mois.
Quatre de ses anciennes employées, l’accusant de viol, d’agression sexuelle et de harcèlement, témoignent auprès de "Sept à Huit".

Jean-Claude Gorzela demeure présumé innocent. Condamné le 5 mai 2022 à 14 ans de réclusion criminelle, l’ancien gérant des établissements Pizza Manu à Beuzeville et Saint-Maclou (Eure) a été reconnu coupable de viol, d’agression et de harcèlement sexuel sur quatre anciennes employées, pour des faits commis entre 2015 et 2018. Après un an de détention provisoire, consécutive à sa mise en examen, le restaurateur de 54 ans a vu sa demande de mise en liberté acceptée, début 2023, par la chambre d’instruction de Rouen (Seine-Maritime), afin de préparer son procès en appel. Lequel devait initialement avoir lieu le 15 juin 2023. Avant d’être renvoyé au 25 mars 2024. Puis d’être une seconde fois reporté, au mois de juin prochain…

Un véritable chemin de croix judiciaire pour ses accusatrices, que "Sept à Huit" rencontre dans l’enquête à voir en tête de cet article. Célia a été embauchée à la pizzeria de Beuzeville en 2017. Elle a alors 19 ans. C’est son premier emploi. "Jean-Claude Gorzela me parle tout de suite d’un CDI. Donc forcément, je me réjouis de cette annonce. Et très rapidement, il a commencé à me donner des petits surnoms. Mon bébé, ma chérie, etc. Mon âge faisait que j’avais de la naïveté. Je me disais OK, c’est le personnage… On apprend à vivre avec", se souvient-elle au micro de TF1.

À la même période, le patron propose un poste de serveuse à Virginie qui, à 40 ans, élève seule ses trois enfants et arrive au bout de ses droits au chômage. "Ce jour-là, j’ai eu l’impression de revivre. Un emploi, un salaire digne… Ma famille va re-respirer, quoi", rembobine-t-elle à son tour. Les deux jeunes femmes racontent avoir vécu, chacune de son côté, un engrenage similaire. "Ça a été des tapes sur les fesses en prétextant qu’on avait de la farine… Des remarques sur le physique. ‘Tu me rappelles mon ex.’ ‘Tu m’excites’. Je baissais la tête et je ne répondais pas, décrit Célia. Je ne savais pas comment me sortir de cette situation."

"Les premiers mois, je m’y suis sentie très, très bien. Jusqu’à ce mois de novembre où tout a commencé, reprend Virginie. Ce jour-là, je suis arrivée avec mon panier de vaisselle, et monsieur était adossé le long de l’évier. Il était en train de se masturber. En me voyant, il m’a dit : ‘Tu tombes bien, c’est toi que j’attendais.’ J’ai eu très peur." Célia : "Une fois, j’étais en salle de plonge, j’avais commencé à faire ma vaisselle de la fin de service. Il est venu, il m’a dit : ‘Putain, je bande.’ Il a pris ma main et il l’a posée sur son pénis. Il m’a demandé une masturbation et là, j’ai tout de suite retiré ma main violemment. Je suis partie. Et ensuite… C’était comme s’il avait un masque. Il est revenu comme si de rien n’était, comme s’il ne s’était jamais rien passé."

Selon Célia, les agressions sexuelles se seraient poursuivies. Mais entre la honte, la peur de ne pas être crue et son père très malade, elle dit avoir gardé le silence pour s’accrocher à son CDI. Virginie aussi aurait subi en se taisant, car ne pouvant se permettre de démissionner. Jusqu’au 27 mars 2018, quand Jean-Claude Gorzela lui aurait imposé une fellation. "Toute ma vie, je m’en souviendrai. Il a été violent, m’a attrapée par les cheveux… Je ne saurais plus vous dire combien de temps. Il a été très, très, très long pour moi." Quelques jours plus tard, les deux femmes se seraient confiées l’une à l’autre, réalisant leur calvaire commun depuis six mois. Elles disent alors avoir trouvé la force de quitter le restaurant, puis de déposer plainte.

Pour les gendarmes, l’homme n’est pas un inconnu. Le chef d'entreprise avait déjà été mis en cause par d’autres femmes. "Avec lui, il y avait toujours des surnoms un peu pénibles ou un contact physique malvenu, comme une main sur l'épaule, témoigne Jessica Cléron, dont le salon d’esthétique jouxte la pizzeria de Saint-Maclou. Une bonne partie de mes clientes me disaient que leur mari ne voulait plus qu’elles aillent chercher toutes seules les pizzas, parce qu’il était trop familier." Ce que confirment plusieurs avis laissés sur Internet concernant son établissement : "Le patron a une grande tendance à être salace avec des propos et regards mal placés." Ou : "Le propriétaire a un comportement pas terrible à la vue de femmes."

"Mon corps était là, mais plus mon cerveau"

Derrière l’aspect graveleux, Michèle décrit un personnage plus inquiétant. Celui d’un patron harcelant, qui ne supporterait pas que ses salariés lui résistent. Elle affirme avoir subi, en 2014, des avances sexuelles très crues. Quatre ans avant les plaintes de Virginie et Célia. "Je lui a dit que ce n’était même pas la peine d’y penser, qu’il ne se passerait jamais rien. Et à la suite de ça, il m’a déplacée de Saint-Maclou à Beuzeville. Comme je n’ai pas répondu à ses attentes, il m’a mis avec sa femme. Elle était très méchante avec moi. Elle avait le comportement d’une dame qui avait entendu des choses... J’ai su plus tard qu’il avait dit que j’étais amoureuse de lui", se remémore-t-elle. Elle aussi a démissionné, mais sans entamer de démarche judiciaire.

Deux ans plus tard, c’est une autre salariée, âgée de 51 ans, qui porte plainte la première pour agression sexuelle. Puis, au fil de leur enquête, les gendarmes identifient une dernière employée sur la liste du personnel : Delphine, en arrêt maladie depuis plusieurs mois, qui refuse d’abord catégoriquement de leur parler, avant de finir par confesser que son patron l’aurait violée de façon répétée, en la menaçant. À l’époque des faits, sa situation financière à elle aussi est précaire. Quatre enfants à charge, dont une fille handicapée, un compagnon au chômage…

"La première fois, c’était à Saint-Maclou, confie-t-elle aujourd’hui à TF1, des larmes dans la voix. Il fallait faire l’inventaire en bas, dans la cave. C’est là que tout a commencé. Les viols. Je lui ai dit non, mais je n’avais pas le choix. Je me disais 'pense à ta fille, tu as besoin de l’argent, il faut que tu les fasses vivre'. À la fin, mon corps était là, mais plus mon cerveau. À un moment, je lui disais que j’avais une grosse infection urinaire, ou que j’avais mes règles. J’ai regretté. Il a changé de position…"

Cinq mois après son embauche, Delphine se met en arrêt maladie, sans se confier à personne, jusqu’à la visite des gendarmes. "Si on en parle à quelqu’un, c’est la honte, explique-t-elle. Les gens vous disent qu’il ne faut pas se laisser faire. Mais ils ne sont pas à notre place. Ils ne peuvent pas savoir…" Elle finit par accepter de porter plainte. Mais il ne se passera rien pendant les deux ans qui suivent. Jean-Claude Gorzela n’est pas réinterrogé, continue de travailler, embauche Célia et Virginie… Ce n’est que suite à leur plainte à elles qu’en octobre 2018, le patron est placé en garde à vue.

Enfin confrontée à ses quatre accusatrices, il nie tout en bloc et dénonce un complot motivé par "l’argent". Malgré ses dénégations, il est mis en examen puis condamné au terme de son premier procès, à Évreux (Eure). Il fait ensuite appel, change d’avocats, obtient sa remise en liberté. Son contrôle judiciaire lui interdit de se rendre là où les faits se seraient déroulés, mais il est libre d’aller et venir dans le département voisin du Calvados, notamment à Honfleur, où vit Delphine, qui dit l’avoir croisé à deux reprises… "Pour moi, je suis dans une prison. Je n’ose plus sortir seule. Dès que je vois quelqu’un de même corpulence que lui, ou des baskets comme les siennes, je suis en panique."


Hamza HIZZIR | Reportage "Sept à Huit" Laura Dona, Manon Descoubès

Tout
TF1 Info