Variants préoccupants : leur apparition en Afrique du Sud est-elle le seul fait du hasard ?

Publié le 6 décembre 2021 à 17h50
Les patients immunodéprimés, très nombreux en Afrique du Sud, s'avèrent particulièrement vulnérables.
Les patients immunodéprimés, très nombreux en Afrique du Sud, s'avèrent particulièrement vulnérables. - Source : LUCA SOLA / AFP

LES VÉRIFICATEURS AVEC L'INSERM – Alors qu'un inquiétant variant "Bêta" était apparu au printemps 2020, c'est désormais "Omicron" qui mobilise les chercheurs. Tous deux ont été détectés en Afrique du Sud, ce qui est sans doute davantage qu'une coïncidence.

À l'instar des autres virus, le SARS-CoV-2 présente au fil du temps des mutations. Si l'apparition de variants apparaît comme un processus naturel, ces derniers ne sont pas systématiquement associés à des symptômes plus graves ou à une plus grande transmissibilité, loin de là. Seule une partie de ces nouveaux variants suscitent une inquiétude, en raison de certaines caractéristiques laissant penser qu'ils pourraient se généraliser et profiter d'un avantage compétitif par rapport à d'autres souches. 

Aujourd'hui, c'est précisément ce qui se produit avec le fameux Omicron, dont on observe la propagation à travers le monde. Un variant que l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) a d’ailleurs classé parmi ceux dits "of concern" (préoccupants). Sa détection fait écho à celle du variant Bêta, réalisée au printemps 2020. 

Dans les deux cas, ce sont les autorités sud-africaines qui ont lancé l'alerte. Pourquoi ce pays, pourtant loin de compter parmi les plus peuplés au monde, aurait vu sur son sol l'émergence de deux souches parmi les plus redoutées ? Lorsque l'on se penche de plus près sur l'Afrique du Sud, on constate que plusieurs éléments laissent à penser que le pays est propice au développement de nouveaux variants.

La piste des patients immunodéprimés

Pragmatique, le professeur de virologie Vincent Maréchal glisse que "pour identifier des variants, il faut d'abord commencer par en chercher". Le chercheur de Centre de recherche Saint Antoine (Inserm/Sorbonne Université) souligne que tous les pays ne consacrent pas des moyens identiques à ces détections, loin de là. L'Afrique du Sud, pour sa part, fait partie de ceux qui se révèlent actifs en la matière, si bien qu'il n'est pas totalement surprenant que ce soit Johannesburg qui ait en premier tiré la sonnette d'alarme. 

Pour autant, le spécialiste met en avant un autre élément notable : le fait qu'une part significative de la population sud-africaine (près d'une personne sur cinq chez le 15-49 ans) soit atteinte par le VIH sans que l'on observe la généralisation de prises en charge adaptées. Plusieurs millions de patients seraient ainsi privés de traitements antirétroviraux. Des personnes touchées par le Sida et qui se retrouvent dès lors immunodéprimées, bien plus vulnérables aux infections virales.

"Pour ces patients – de même que pour ceux qui présentent d’autres causes d'immunosuppression comme dans le cadre d’une greffe, la situation en cas d'infection n'est pas la même que celle dans la population générale", insiste Vincent Maréchal. "D'ordinaire, nous avons affaire à une infection par le SARS-CoV-2 non persistante. Le système immunitaire va prendre peu à peu le dessus et éliminer le virus. Chez les personnes immunodéprimées en revanche, l’infection peut devenir persistante, en raison d'un système immunitaire affecté bien que pas totalement absent. Pas assez efficace en tout cas pour venir à bout de l'infection."

Il est donc possible qu'une personne immunodéprimée atteinte par le Covid reste contaminée durant de longs mois. "Des infections chroniques de près d'un an ont été exceptionnellement rapportés", note le virologue. "Ces personnes immunodéprimées vont jouer malgré elles le rôle d'un incubateur naturel, avec un dialogue constant entre l'hôte et le virus. Ce dernier se multiplie et mute et s’adapte en permanence à son hôte, si bien qu'après quelques mois, quand vous récupérez des souches chez ces patients, vous constatez qu'elles ont évolué de manière très significative." Les variants sont ainsi susceptibles d'apparaître non seulement lorsque le virus circule au sein des populations, mais aussi chez une seule et même personne souffrant d'une infection au long cours (rendue possible par son immunodépression). 

Bien que toujours prudents, les experts jugent possible que le variant Omicron – comme les variants Alpha et Bêta  avant lui – puisse avoir évolué lors d’infections persistantes chez des personnes immunodéprimées. L'Afrique du Sud, qui fait face depuis plusieurs décennies à une épidémie majeure de VIH, apparaît alors comme un pays potentiellement plus à risque, à l'instar d'autres à travers l'Afrique, eux aussi touchés. On pense notamment au Malawi, à la Zambie, au Zimbabwe ou encore au Mozambique. Tout en soulignant que ces derniers, pour leur part, ne disposent pas des mêmes capacités de détection de nouveaux variants et pourraient ainsi mettre assez longtemps avant d'identifier sur leur sol l'apparition d'une nouvelle lignée.

D'autres facteurs à considérer

Si la fragilité des personnes immunodéprimées justifie, pour Vincent Maréchal, de leur consacrer un accompagnement et un suivi renforcé, il ne faut pas oublier que le Sida n'est pas la seule cause possible de fragilisation du système immunitaire. Les personnes qui suivent des traitements consécutifs à des cancers ou à de greffes se révèlent en effet très exposées, ce qui explique par exemple que les vaccins leur soient recommandés en priorité.

Stigmatiser les patients immunodéprimés, pour autant, serait totalement illégitime. Ils ne pourraient en effet absolument pas être désignés comme étant à eux- seuls à l'origine des variants, a fortiori de ceux aujourd'hui les plus surveillés. Outre le fait que les infections longues qu'ils sont susceptibles de développer présentent des risques supplémentaires, il ne faut jamais oublier que les variants apparaissent naturellement lors de la transmission du virus d'un individu à l'autre. 

Ainsi, "on observe avec le SARS-CoV-2 des moteurs d'évolution classiques", assure Vincent Maréchal, avec "des mutations au fil des transmissions au sein des populations". De manière générale, divers pays peuvent être identifiés comme "à risque" : ceux où "l'hygiène se révèle mal contrôlée ou qui affichent une très forte densité", glisse notamment le chercheur. "Tout comme ceux où les gestes barrières se voient trop peu respectés." Et de citer l'Inde, avec plus d'un milliard d'habitants aujourd'hui et où ont été identifiés plusieurs des variants surveillés par l'OMS.

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Thomas DESZPOT

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