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Agression d'une grand-mère et de sa petite fille à Bordeaux : a-t-on le droit de diffuser les images ?

Publié le 23 juin 2023 à 12h23

Source : JT 20h Semaine

Une femme de 73 ans et sa petite-fille ont été victimes lundi d'une agression à Bordeaux.
Les images de cet acte "d'une rare violence" ont été filmées par un visiophone avant de fuiter, non floutées, sur les réseaux sociaux.
Cette diffusion en ligne pose la question de la légalité d'un tel partage.

La vidéo de l'agression d'une grand-mère et sa petite-fille, le lundi 19 juin, à Bordeaux, est devenue virale en quelques heures sur les réseaux sociaux. Notamment reprise par des personnalités d'extrême droite et par des comptes d'actualité, elle montrait les deux victimes sans que leur visage soit flouté. Une viralité qui pose la question de la légalité d'une telle diffusion.

La diffusion d'une agression est un délit

Au niveau pénal, les choses sont très claires. L'article 222-33-3 du Code pénal écrit que "le fait d'enregistrer sciemment, par quelque moyen que ce soit, sur tout support que ce soit, des images relatives à la commission" d'infractions qui portent atteintes à l'intégrité de la personne est constitutif d'un "acte de complicité". Or, le texte ajoute que "le fait de diffuser l'enregistrement" de ces images "est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75.000 euros d’amende". Il s'agit donc d'une infraction à part entière, elle est "autonome", qui vaut également pour ceux qui partagent les images sur les réseaux sociaux. L'article précise toutefois que cette mesure ne s'applique pas dans le cas d'une "profession ayant pour objet d'informer le public".

Cela dit, parvenir à une condamnation pénale dans un tel dossier est rarissime. "Le doute profite à l'accusé", rappelle en effet Alexandre Archambault. "L'imprudence, la naïveté, peut être plaidée", poursuit l'avocat au barreau de Paris auprès de TF1info. "Ce qui n'empêche pas que c'est illicite, et que ça fait courir le risque d'une poursuite judiciaire."  Il incombe alors au juge de trancher sur la question. C'est pourquoi, c'est généralement au civil, en plaidant l'atteinte à la vie privée, que ces affaires se règlent. Des dossiers dans lesquels "l'accusation ne doit pas prouver l'intention de nuire", explique notre interlocuteur. Dans ce cas, un internaute n'a pas le droit de diffuser la séquence d'une agression dans laquelle des personnes peuvent être identifiées, puisque l'image porte "délibérément atteinte à la vie privée des personnes", argue Alexandre Archambault. C'est d'ailleurs "par respect envers les victimes et pour éviter toute poursuite" que le compte d'actualité "Cerfia" a décidé de supprimer la vidéo non floutée de l'agression ce mardi.

Dans ce cas, la liberté d'information n'est absolument "pas un totem d'immunité", comme le souligne l'avocat spécialisé dans le numérique. "Si cela n'est pas un délit pour un titre de presse de publier l'image d'une victime, en revanche, cela peut constituer une faute civile", analyse-t-il. Car, bien que la Cour européenne des Droits de l'Homme (CEDH) — dont les textes priment sur la loi — protège l'usage de la liberté d'expression dans son article 10, aucun média ne peut publier l'image d'une agression sans qu'elle soit floutée si elle porte préjudice à la victime ou sa famille. "Le droit à l'information permet la publication d'images de personnes impliquées dans un événement d'actualité, la limite étant l'atteinte à la dignité des victimes", confirme l'avocate Virginie Marquet. "Le droit à l'image des personnes s'efface uniquement" dans le cas où la diffusion "poursuit un but légitime d’informations", note la spécialiste du droit des médias et de la presse auprès de TF1info. Cette règle est d'autant plus importante que dans ce cas, le préjudice est plus fort puisqu'il s'agit d'une victime mineure. "La protection du mineur prend le dessus sur la liberté d'information", rappelle son confrère. "C'est par exemple pour cette raison que diffuser l'image d'un suspect mineur menotté est un délit."

La liberté d'expression n'est pas un totem d'immunité
Alexandre Archambault, avocat spécialisé dans le numérique

C'est ce qu'illustrent plusieurs arrêtés des juridictions européennes. D'abord, en 2016, la CEDH avait validé la condamnation du magazine Choc. Il avait publié dans ses pages plusieurs clichés non occultés des sévices subis par un jeune homme de 21 ans. Une décision qui vient valider une affaire précédente. Celle portant sur la publication dans Paris Match de la photo non floutée du corps du préfet Claude Erignac, assassiné à Ajaccio en 1998. L'article était illustré par une photographie des lieux, prise dans les instants ayant suivi l'assassinat, et représentant le corps du préfet gisant sur la chaussée. Or, la CEDH a conclu en 2007 que la condamnation de l'hebdomadaire ne violait pas l'article 10. Il avait par contre eu pour conséquence "d'aviver le traumatisme subi par les proches de la victime à la suite de l'assassinat". 

La famille de la grand-mère et de sa petite-fille violemment agressées lundi s'est dit ce lundi "indignée par la récupération politique qui est faite de ce fait divers". Dans un communiqué transmis par leur avocate, Me Nadège Pain, les proches dénonçait précisément "l'utilisation médiatique des images sans son accord explicite et sans le moindre respect pour l’identité des victimes ou leur vie privée". 

En résumé, qu'il s'agisse d'un internaute ou d'un média, les choses sont claires : si la diffusion d'images sur lesquelles les victimes sont identifiables apporte une aggravation du préjudice, alors on est dans l'abus de la liberté d'expression. "L'idée n'est pas de mettre une chape de plomb et empêcher le débat sur un sujet d'intérêt général. L'idée est que l'on ne peut informer en portant atteinte aux victimes ou en les instrumentalisant", résume Alexandre Archambault. C'est pour protéger ce droit, et face à la viralité de la séquence, que la police nationale a annoncé ce mardi que ses enquêteurs avaient été saisis.

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Felicia SIDERIS

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